Fallout 76 : pourquoi le jeu de Bethesda mérite notre acharnement
Fallout 76 trahit un mépris profond des joueurs et nous offre un condensé des pires travers de l'industrie du jeu vidéo en 2018.
Depuis quelques semaines maintenant, nous soulignons les différents affronts aux joueurs que constitue Fallout 76, développé par Bethesda Game Studios, et édité par Bethesda Softworks. Des critiques que certains perçoivent comme de l'acharnement à l'égard du jeu, de son studio et de son éditeur. Explications.
Un état technique inacceptable
Fallout 76 est sorti le 12 novembre 2018 dans un état de finition catastrophique. De l'aveu même du studio, (lire la lettre complète ici) le développement de la dernière itération de la célèbre licence de RPG n'est pas terminé. Et c'est ici que commence notre critique, celle des joueurs, et de la presse dans sa globalité (voir les tests de JVC, Canard PC, Gamekult, Pixels ou encore du très drôle Sheshounet, qui mérite le détour pour son court métrage introductif). Fallout 76 est un jeu vendu à prix fort (entre 60 et 70 euros selon les boutiques), à un stade de développement qui se rapproche bien plus d'un jeu en accès anticipé, que d'une expérience AAA digne de l'un des studios les plus réputés de l'industrie. La liste des bugs et des mécaniques de jeu poussiéreuses, interminable et typique du studio, amusait il y a quelques années. Elle est aujourd'hui inexcusable.
Le centre de cette critique de l'aspect technique concerne le moteur physique qui n'a guère évolué depuis sa première version (Gamebryo puis Creation Engine) sur Morrowind, sorti il y 16 ans. Les piliers fondamentaux du moteur offrent certes une certaine liberté d'action au joueur, mais sont entravés par des limitations techniques toujours non corrigées, près de deux décennies plus tard. Fallout 76 n'échappe pas à ces problèmes, comme votre personnage qui flotte, une IA qui se résume à des ennemis qui vous attaquent en ligne droite, des problèmes de clipping et de popping en tout genre, des sources de lumière qui sortent du sol, etc.; malgré les différents correctifs apportés par les moddeurs volontaires depuis des années.
Également, Fallout 76 a pour principal attrait sa dimension multijoueur. Malheureusement, il manque cruellement de fonctionnalités aussi rudimentaires qu'indispensables pour un titre en ligne en 2018, comme le push-to-talk, le chat écrit, la modification du champ de vision, un PvP fonctionnel et stimulant, etc. Des errances qui on l'espère seront rapidement corrigées, mais qui n'auraient jamais dû être présentes dans un titre AAA vendu à 70 euros. D'autant plus que ces écarts ont été soulignés à maintes reprises lors de la bêta, qui n'était finalement rien de plus qu'une démo payante (le jeu, à sa sortie, n'a pas reçu de patch par rapport à la version bêta).
Un design fondamentalement bancal
Dans un élan de marketing qui nous semble aujourd'hui surtout mettre en avant du travail qui n'a pas été effectué, Fallout 76 se targue de n'avoir aucun PnJ. Le concept ? Ce sont les autres joueurs qui jouent ce rôle. L'idée est bonne, mais la limite de 24 joueurs par serveur conduit à une carte complètement vide et à des interactions rarissimes. Pas très grave me direz vous, on peut jouer avec un ami. Vrai, mais dans ce cas, est-ce une si bonne idée de faire passer toute la narration par des journaux audio (longs et détaillés, un plus), qu'on ne peut ni suspendre ni ré-écouter ? Comment s'immerger dans ce monde lorsque notre écoute de l'histoire est interrompue par la mère de votre coéquipier qui lui demande de descendre les poubelles, forcément audibles puisque le jeu n'a pas de push-to-talk ?
Une tentative hâtive et bâclée de surfer sur la dernière mode
Au-delà de ces problèmes techniques et de design, Fallout 76 attise la colère des joueurs puisqu'il est une tentative éhontée de surfer sur l'une des dernières modes du moment : le jeu de survie en ligne. Non, adapter l'univers Fallout à ce genre de jeu n'est pas une mauvaise idée. Oui, c'est un problème quand le résultat est bâclé et trahit fondamentalement une tentative de sortir un produit impliquant un minimum d'effort, dans l'espoir d'engendrer un maximum de profits. Également, les assets sont directement issus de Fallout 4 (le boss de fin est un reskin d'un dragon de Skyrim), les bugs (pourtant corrigés par les joueurs) sont identiques, les systèmes de jeu (du craft à la gestion de base) sont similaires, voire même encore plus sommaires.
C'est exactement ce qui se passe quand le pouvoir décisionnel et "créatif" d'une compagnie est régi par son pôle commercial, aux dépens des développeurs et artistes. Qu'est-ce qui génère de l'argent en 2018 ? Les jeux multijoueurs à bas coût de développement (Fortnite et autres jeux de survie) et à haut potentiel de monétisation. Exit les développeurs, artistes et scénaristes de talent chez Bethesda, bienvenue aux exécutifs en cravate pour qui le processus créatif se résume à une courbe de profits. La preuve est faite avec les microtransactions, déjà inacceptables dans un jeu à 60 euros, et qui ont bénéficié de plus de soin que le reste de l'expérience.
Un concentré des travers de l'industrie
Si l'intégralité des médias et des joueurs ont décidé de n'accorder aucune pitié à Fallout 76 ce n'est pas par acharnement, c'est parce que tout de Fallout 76, de l'état technique dans lequel il est sorti, à son recyclage éhonté des assets de Fallout 4, à sa monétisation indéfendable au manque de communication des développeurs, est un parfait concentré des pires travers de l'industrie depuis quelques années.
Fallout 76 est un jeu auquel il manque un bon 18 mois de développement, une tentative catastrophique de générer du profit sans se casser la tête sur une licence adulée des joueurs. Fallout 76 est une insulte profonde aux joueurs et à leurs standards, et trahit un mépris tragique de Bethesda envers sa communauté de fans.
Les joueurs, les YouTubers, les fans comme les haters, la presse, tout amoureux du jeu vidéo a sa part de responsabilité. Les problèmes présents dans Fallout 76 sont les mêmes que dans chacun des titres issus du studio depuis près de vingt ans. La différence ? Ces jeux ont bénéficié d'un vrai soin de Bethesda Game Studios, d'une volonté sincère de créer une oeuvre artistique de qualité. Fallout 76 nous donne un aperçu flagrant de ce qu'il reste aux titres signés Bethesda, une fois que l'on retire ce souci de proposer une expérience mémorable. Le passe-droit accordé à Bethesda depuis des années doit être révoqué, et c'est pourquoi Fallout 76 ne mérite en aucun cas la clémence des joueurs et de la presse.
Dernière preuve du manque de respect de Bethesda pour ses joueurs, leur incapacité à honorer le contenu de l'édition collector à 200€ du jeu vient conclure ce lancement catastrophique.